Historique de la Chapelle des Prairies

Notre Dame des Prairies

Depuis longtemps déjà, au-delà de cent ans, « Les Prairies » appartiennent à la toponymie de Saint-François de la Rivière-du-Sud. Avant d’être le rang qui limite la paroisse à l’extrémité sud, elles étaient des morceaux de terre défrichés appartenant aux cultivateurs du Rang du sud; ces terres « poussaient » bien, aimait-on à dire, et leur fertilité leur valut le nom souriant de « Prairies ». Le terme a fait fortune au point que d’autres lopins taillés plus avant dans le grand bois s’appellent « les Petites Prairies », dénommées ainsi uniquement pour les distinguer des premières.

            Quoiqu’il en soit de cette explication onomastique, que je dois aux vieillards de la paroisse, Les Prairies sont devenues Notre-Dame-des-Prairies en 1946 lorsque la générosité de la population locale, aiguillonnée par le zèle de M. l’abbé Louis-Henri Paquet, y a fait construire un sanctuaire dédié à Notre Dame de Lourdes. On y accède à partir du village après être monté sur une longueur de chemin de cinq milles jusqu’à une altitude de mille pieds. Le trajet le plus court est la route des Quatre chemins, qui passe par la Morigeau, tourne vers l’Ouest sur le rang du Sud pour reprendre après trois quarts de mille plus loin l’orientation directement vers le Sud.

            Jusqu’en 1946, les gens « plus à l’aise » pouvaient descendre assidûment aux offices religieux de l’église paroissiale, mais la population ouvrière qui connut, un temps du moins, un régime de pauvreté, en était totalement ou à peu près empêchée. Un jour que le curé Alfred Boulet, s’entretenait du problème avec Mgr Paul-Eugène Roy (Archevêque de Québec) celui-ci, avec sa franchise ordinaire, lui propose la solution suivante : «  M. le Curé, une seule chose à faire, allez  trouver ces paroissiens. » Le curé Boulet n’était pas homme à tergiverser longtemps sur les moyens à prendre. En 1929, il avait déjà ouvert une mission à l’école du rang numéro 7, s’était acheté un cheval trotteur et, lui ou son vicaire l’abbé Cyprien Morneau, se rendait presque tous les dimanches, souvent malgré la température incommode, y célébrer les saints mystères.

            A-t-on eu, dès les premières années, l’intention d’y construire une chapelle ? Oui, mais durant la crise de 1929, l’espoir était irréalisable. Néanmoins, l’idée une fois semée ne manqua pas de s’enraciner profondément, à tel point que, chaque année, elle revenait alimenter les conversations au sortir de la messe.

            Pendant quinze ans où il fut curé à Saint-François, l’abbé Léon Vien continua l’oeuvre commencée. Laissé seul dans la paroisse, il avait beaucoup à faire, cependant il ne manquait pas de se rendre lui-même, deux fois le mois, faire bénéficier cette lointaine partie de son troupeau des trésors de sa vive éloquence. L’été, tout allait bien, mais l’hiver, les voyages risquaient souvent de se changer en aventures pénibles; qu’importe! le dévouement trouvait sa récompense.

            Les années passèrent, adoucissant les rigueurs et la misère occasionnées par la dépression monétaire. En effet, la deuxième guerre mondiale venait d’éclater quand arrivèrent dans la paroisse les abbés François-Xavier Lefèvre et Fernand Nicole, respectivement curé et vicaire. Ils apportèrent des précisions sur la construction de la chapelle et mirent tout en oeuvre pour en réaliser le projet. Mais la mort de M. Lefèvre le 1 er janvier 1942 arrêtait tout pour un temps encore.

Le 29 janvier suivant, l’abbé Louis-Henri Paquet prenait la relève comme curé. Il avait déjà à son crédit la construction de l’église de Ste-Justine de Dorchester. Il dotera « Les Prairies » de sa chapelle, mettant toute son âme à prêcher et à prier pour hâter les choses. De plus, il avait fait la promesse que si tous les jeunes de St-François engagés dans l’armée, revenaient sains et saufs, le bâtiment serait érigé à la gloire de la Vierge Marie, puisque avant de partir pour l’Europe, il les lui avait tous consacrés.

On érigea d’abord un Calvaire à l’intersection des routes Les Prairies – St-Raphaël en 1945. Cette même année, le cardinal Villeneuve vint tracer une croix devant le site de la future construction, sise près de l’école du rang numéro 7, sur un terrain donné par M. Léon Simard. À la suite de cette visite inattendue, la générosité des paroissiens s’accentua et en décembre 1946 arriva le décret d’érection dispensé par l’Archevêché de Québec.

Les ouvriers commencèrent les travaux d’excavation le 12 août 1947 sous la direction de M. Anatole Roy. Tout alla si bien que le 25 août la charpente était levée. On travailla alors avec entrain pour loger le bâtiment pour le 8 décembre, fête de l’Immaculée, jour projeté pour la première messe. La croix du clocher ayant été posée le 21 novembre de la même année.

Il fallait avant tout élever un édifice utile. Aussi bien l’architecture de cette chapelle est-elle très simple: c’est le type traditionnel d’une maison canadienne avec en façade un petit clocher. La nef, d’une capacité de cent cinquante sièges, offre à première vue, l’aspect d’un hémicycle; et elle est décorée de trois arcs-en-ciel en relief dont les extrémités s’appuient sur les fenêtres. Le demi-cercle se referme tout à-coup à la balustrade juste bien pour faire place, de chaque côté, à deux statues, l’une de Saint Joseph et l’autre de Sainte Anne. Tout dans le choeur converge vers un autel blanc et or surmonté de la Vierge de Lourdes. M. Paquet s'est fait donner cet autel sur lequel reposait le Saint Sacrement à l'occasion du Congrès Eucharistique de Montmagny en juillet 1946. D'ailleurs il avait prêché lors d'une journée d'Adoration. Deux anges, ailes déployées, se tiennent justement en adoration, regardant le tabernacle d’or ciselé. Une galerie de saints, propres aux dévotions particulières, entoure cet autel. Au centre de la voûte, le Saint Esprit traverse de ses ailes un cercle de rayons dorés. Une large fenêtre drapée de soie rouge feu laisse plonger une lumière diaphane qui se diffuse dans la petite sacristie à droite.

À l’arrière, on peut remarquer un confessionnal diamétralement opposé à la tribune de l’harmonium de chaque côté de la porte. Des bancs de chêne verni reposent sur un plancher en linoléum incrusté exposant ses dessins variés.

En effet, le matin du 8 décembre 1947, par une journée de printemps, une foule considérable venue de tous les coins de la paroisse envahissait la nef, prenant d’assaut les sièges temporaires disposés pour la cérémonie. Un Rosaire fut récité avant la messe. Il y eut des confessions et l'office commença dans le recueillement le plus profond. Au prône, M. le Curé souligna le caractère presque miraculeux de l’oeuvre accomplie. En si peu de temps, on avait fait l’acquisition d’un terrain, du bois de construction, des ornements liturgiques et de la jolie somme de sept mille dollars!

Et les dons continuèrent à venir. L’un apporta un calice, celui-là un ciboire, un autre une statue, un crucifix etc. Chose digne de remarque, presque tous les donateurs réclamaient l’anonymat. Le chemin de croix fut posé le 10 août 1948 et le 17 du même mois, on bénissait les statues de Notre Dame de Lourdes, de Sainte Anne et de Saint Joseph.

Depuis longtemps déjà, le petit clocher semblait exprimer le désir de sonner. Le 27 septembre, la cloche arrivait, modeste, de Belgique, pour être l’objet d’une impressionnante cérémonie, le 19 octobre suivant. Elle reçut au baptême le nom de Marie. M. le chanoine Auguste Lessard, curé de Montmagny, présida à sa bénédiction et M. le Curé Jean-Baptiste Bélanger de Berthier prononça le sermon. La cloche tinta joyeusement ce jour-là pour la première fois. Depuis, elle ne se lasse pas de diffuser les notes claires de l’Angélus dans la tranquillité agreste de la plaine. Quelquefois, elle sait se faire triste aussi quand elle sonne les glas funèbres des défunts de l’arrondissement. Le même jour eut également lieu la bénédiction de la statue blanche de la Vierge placée au-dessus de l’entrée principale.

Mais pourquoi cette chapelle a-t-elle été dédiée à Notre Dame de Lourdes ? Sans doute, la chose est attribuable en partie à une dévotion spéciale de M. l’abbé Paquet. Le bon Dieu utilise les faits de ce genre pour faire exécuter ses volontés et il voulait que la paroisse, déjà consacrée au Coeur Immaculé de Marie, eût aussi un sanctuaire qui rappelât les miracles du Rocher de Massabiel. Ce sanctuaire marial est donc un monument de la charité populaire qui reçut la consécration définitive le 29 octobre 1949, jour où Son Excellence Mgr. Maurice Roy, vint le bénir sous le vocable de Notre Dame des Prairies. Et qui sait si au Rang Les Prairies, baignant dans la dévotion à Marie, la Vierge ne serait pas à l'origine de mon entrée au Séminaire de Québec en septembre de cette année-là.

L'oeuvre de la chapelle a été bien comprise d’ailleurs si l’on considère l’approbation qu’elle reçut des autorités religieuses. Avant la construction, Son Éminence le Cardinal Villeneuve avait voulu bénir lui-même l’endroit où s’érigerait le sanctuaire. Un autre hommage public lui fut rendu lorsque Son Excellence Mgr Maurice Roy consacra définitivement au culte la nouvelle maison de Dieu. Comment ne pas mentionner la première cérémonie de confirmation présidée par Mgr Charles-Omer Garant le 30 mai 1950 et la visite non moins heureuse de Mgr Bruno Desrochers le 22 mai 1952 pour une autre cérémonie de confirmation ?

Faisons très large la part fournie par M. l’abbé Louis-H. Paquet, principal artisan de tout ce renouveau marial dans ce lopin de terre dérobé à la forêt. Qu’il nous suffise de mentionner les quelques manifestations mariales qui s’y ont déroulées et qui prendront, pour de nombreuses années, une ampleur inespérée.

Le 31 août 1952, la première procession quittait la Chapelle pour passer dans le rang. Une foule de pèlerins s’était rendue là pour remercier la Sainte Vierge des faveurs accordées. Chaque année aussi des pèlerinages sont organisés par diverses associations de la paroisse. Un des plus touchants restera sans contredit celui qui a réuni tous les vieillards au sanctuaire : les uns s’appuyaient sur des cannes, d’autres marchaient avec des béquilles; les uns souffraient de surdité, d’autres pouvaient à peine distinguer l’autel, mais tous entendirent la sainte messe avec une foi remarquable et une confiance inébranlable dans la Mère de Dieu.

Fidèles à une tradition heureuse, les Religieuses de la Congrégation Notre Dame conduisent aussi une fois l'an leurs élèves à Notre Dame-des-Prairies pour remercier la Vierge de l’année qui se termine et lui recommander les vacances. Les pèlerinages Lacordaire ne manquent pas aussi d’attirer l’attention car ils se font presque toujours à pied. Le départ s’effectue au village où se rassemblent les membres du Cercle et après environ une heure le cortège est rendu à destination. Mais il n’y a pas que des pèlerinages organisés qui aient de l’intérêt, il y a aussi ceux qui se font privément. Tôt le dimanche matin, il ne sera pas rare de voir des jeunes filles et même des mères de famille parcourir cinq milles à pied pour aller communier au sanctuaire. Témoignage éloquent qui ne manque pas d’attirer les bénédictions de Marie. Devrais-je ajouter, qu'après avoir traversé les épreuves du Grand Séminaire, je vins chanter à La Chapelle ma deuxième messe, accompagnée d'une foule nombreuse, le 23 juin 1953 ?

Les Pèlerinages, il est vrai, constituent un intérêt particulier pour la Chapelle, mais n’oublions pas qu’avant tout elle a été construite dans le but de favoriser l’assistance des gens éloignés de l’église aux offices religieux et M. le Curé tient à leur donner le plus possible les exercices principaux du culte. D’abord, tous les dimanches et tous les jours de fêtes, ils peuvent assister à la messe à 8 heures, se confesser et entendre une courte prédication; le soir, on fait les exercices du Rosaire et l’on donne un salut du Saint Sacrement. Tous les mois, un prédicateur ou M. le Curé va y prêcher une Heure d’Adoration et faire le Salut Solennel en l’honneur du Saint Sacrement. M. l’abbé Théophile Nadeau du Collège de Lévis aide le curé pour ces fonctions liturgiques. À l’occasion des Quarante-Heures, le Saint Sacrement reste exposé tout le jour, et pendant le Carême, une fois la semaine, il y a prédication suivie et autres exercices appropriés. Annuellement on fera un triduum prêché.

Chaque soir, le petit clocher de la Chapelle lance son invitation pour le Rosaire; et, pendant que le soleil s’endort derrière les montagnes et que la nuit vient s’étendre sur la plaine, nous voyons de pieuses familles se rassembler derrière les murs du temple pour prier et remercier la Sainte Vierge des faveurs accordées au cours de la journée qui s’achève.

Avant de mettre fin à ce texte, voici quelques anecdotes savoureuses reliées à la vie de pasteur du curé Paquet. C'était un homme imposant, à la voix de Stentor et de fait à première vue il faisait un peu peur au monde. Charitable au possible, il a aidé pendant la guerre de 1939-45 beaucoup de pauvres de la paroisse. Un jour, revenant de la messe à La Chapelle et voyant qu'un des démunis qu'il aidait était absent, (il aimait bien contrôler son monde! ) il fit arrêter son conducteur de taxi, M. Ernest Lavoie, à la maison de l'homme en question. "Mettez-vous à genoux!" dit-il et il fit réciter le chapelet à toute la famille... Qu'on se le tienne pour dit à l'avenir! Tous les dimanches d'été, il avait recours à M. Marcel Garant ou M. Jean-Paul Bolduc pour le conduire gratuitement dire la messe aux Prairies. Mais l'hiver, avant que la Voirie n'ouvre les chemins, M. le curé avait recours à son homme de confiance M. Lavoie qui le montait en "Snowmobile" de Bombardier, moyennant rémunération bien sûr, Et comme les chemins n'étaient pas toujours bien entretenus par les "gratteux" du Gouvernement, il est arrivé quelques fois que la grosse voiture versait. C'était le désastre; le conducteur pesait 250 livres et le pasteur 275... Les cultivateurs des alentours, alertés, sortaient le cheval pour tirer d'embarras les voyageurs audacieux.

Un tel dévoûment et une si grande charité furent reconnus par Mgr. Bruno Desrochers, premier évêque du diocèse de Ste-Anne, fondé en 1951. En effet le 22 février 1955 M. l'abbé Paquet fut fait chanoine honoraire à la Cathédrale de La Pocatière. Mais l'hommage rendu fut de courte durée puisque, hospitalisé à Lévis début septembre, il décéda le 26 septembre de la même année.

La paroisse de St-François, a gardé de lui le souvenir d'un curé pieux et tout dévoué aux malades et aux pauvres. Je garde toujours en mémoire le fait suivant: la veille de sa mort à l'Hôtel-Dieu de Lévis, il me dit: "Prends 40 dollars dans mon porte-feuilles et demain va les porter à Jos Paré à qui je dois cet argent pour du pain à des pauvres." Et il fut emporté ce jour-là. Dois-je ajouter qu'il avait manqué de ressources lors de la construction de la chapelle et que toutes ses économies y avaient passé ? Les funérailles, présidées par Mgr. Desrochers eurent lieu le 1 er octobe en la fête de Thérèse de Lisïeux, sa sainte préférée, à part la Vierge Marie.

Jacques Simard ptre, septembre 1956

Depuis 1956, la vie de la chapelle a bien changée. Il y eut quelques modifications à l’intérieur, surtout pendant les cures des abbés Louis Pelletier et Germain Laplante. Si les pèlerinages ont disparus (in ne reste plus que celui du Groupe de prières de Montmagny, une fois l’an) il appert que chaque dimanche des gens viennent des paroisses voisines assister toujours avec ceux d’ici à ce qu’on appelle « la basse messe ». Le prêtre officiant se laisse conduire à la chapelle tous les dimanches matins, selon une tradition bien établie depuis 60 ans par un membre de la famille Garant en l'occurence Louis-Marie qui a pris la relève de son père suite au décès de ce dernier en 1980. Et le service liturgique qui fut assuré par Mme Gracia Garant-Simard pendant de longues années l’est maintenant par Mesdames Lise Rémillard et Nicole Morin. Les curés qui se sont succédés depuis M. Paquet ont toujours voulu respecter sa promesse de 1946. Il s’agit de MM les abbés Louis Pelletier, Germain Laplante, Jules Paradis, Pierre Laberge et Michel Talbot. Quel sera l'avenir de ce Sanctuaire ? Seule la Providence pourra répondre à cette question.

Ce fascicule a été préparé d’après un texte écrit pour La Société historique de la Côte du Sud en 1956 et complété en cette année 2006, avec l’aide de Louis-Marie Garant. Les profits de la vente annoncée seront utilisés pour la réparation du toit de la chapelle.

Jacques Simard ptre, printemps 2006.

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